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Tchad: Au Tchad, le référendum de la discorde et l’impossible décentralisation

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Les Tchadiens espéraient avoir à choisir entre un État unitaire et un État fédéral. Le gouvernement a finalement décidé qu’ils se prononceraient, le 19 novembre, pour ou contre l’adoption d’un État unitaire fortement décentralisé, avec le risque de voir la juste répartition des ressources leur échapper encore.
Un rare moment de franche et libre concertation entre les acteurs politiques et les forces vives tchadiennes. C’est ainsi que le récent Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) au Tchad a été salué par de nombreux observateurs de la scène politique nationale et internationale. N’Djamena n’avait pas connu de grand-messe politique de refondation sociétale et politique d’une telle ampleur depuis la Conférence nationale souveraine de 1993.
Il ne faut certes pas perdre de vue les défections enregistrées durant cette grande palabre nationale, encore moins les réticences – voire les rétractations – de certaines forces politico-militaires lors des négociations préliminaires qui se sont déroulées à Doha, de mars à août 2022. Mais la stature politique et la diversité des participants au DNIS ont conféré à ces assises la légitimité suffisante pour réfléchir sur l’avenir du pays et projeter durablement les enfants de Toumaï dans un futur de paix durable et de prospérité partagée.
« Décentralisation effective »
En dépit de l’absence de certaines figures ou formations politiques de poids, les questions de fond qui maintiennent le Tchad dans l’instabilité sociopolitique ou hypothèquent sa marche vers le progrès ont été non seulement débattues, mais, à l’unanimité des participants, il a été décidé pour celles qui relèvent de la souveraineté populaire de les voir soumises à l’épreuve du référendum.
Il en va ainsi de l’adoption d’une nouvelle Constitution dont l’épine dorsale concerne la forme de l’État. La décision de soumettre à l’appréciation des Tchadiens cette réforme institutionnelle cruciale pour l’avenir du pays part d’un constat exprimé au point 4 de ces résolutions : « Pratiquer la répartition juste et équitable des ressources nationales », ainsi qu’au point 8 : « Le sentiment d’exclusion dans la gestion de la chose publique et de la répartition équitable des richesses nationales. » Il sera donc recommandé d’« organiser un seul référendum couplé où seront posées la question de la forme de l’État et celle de la Constitution de 1996 réaménagée ».
Dans le compte-rendu du conseil des ministres extraordinaire du 2 juin dernier, qui avait pour seul point inscrit à l’ordre du jour l’examen de l’avant-projet de Constitution, la question de la forme de l’État semble avoir été réglée sur le fond. Elle évacue ainsi d’emblée l’option d’une configuration fédérale de l’État à côté de celle de l’État unitaire.
Il est désormais question d’une « décentralisation effective » au sein de « collectivités autonomes, en lieu et place de collectivités territoriales décentralisées qui s’administrent librement par des assemblées élues, dotées de la personnalité morale, et leur autonomie administrative, financière, patrimoniale et économique ».
Il est opportun de préciser que la forme jacobine actuelle de l’État est au cœur de toutes les récriminations sur l’efficacité des gouvernements successifs. Le constat est quasi unanime pour reconnaître sa crise paroxysmale et son incapacité à répondre aux défis que doit relever le Tchad.
Déficit de ruissellement
Le concept de « décentralisation » que les institutions financières internationales promeuvent depuis le début des années 1990, à la faveur du mouvement de libéralisation impulsé par le Consensus de Washington, connaît plusieurs décennies de mise en œuvre au Tchad. Mais la crise de la participation citoyenne ne s’est pas estompée.
La mal-gouvernance et les inégalités dans la répartition des richesses demeurent quelques-unes des plaies béantes à l’origine des crises sociopolitiques que traverse le pays depuis plus de trente ans. La patrimonialisation du pouvoir d’État demeure l’un des maux qui font du «  vivre ensemble » un slogan qui sonne creux.
Ce déficit de ruissellement des richesses nationales jusqu’au citoyen ordinaire et dans les régions les plus reculées du pays a servi à certains mouvements politico-militaires de terreau et de prétexte pour donner à leurs entreprises factieuses de conquête du pouvoir un semblant de légitimité populaire.
Les débats qui ont agité la classe politique tchadienne lorsqu’il s’est agi d’accéder au club des pays producteurs et exportateurs de pétrole permettent, a posteriori, de questionner l’efficacité du processus de décentralisation. Au moment de la codification des principes devant régir la répartition des revenus pétroliers, le chef de l’État de l’époque, Idriss Déby Itno, promulgua la loi du 11 janvier 1999 sur la répartition des revenus issus de l’exploitation des champs pétroliers de Komé, Miandoum et Bolobo.
Cette loi alloue 5 % de ces revenus aux « collectivités décentralisées » de la région productrice. Ce principe de répartition fut d’ailleurs inscrit dans la Constitution. Cette expérience pilote, parmi les plus significatives du processus de décentralisation, est loin d’avoir satisfait les espoirs légitimes des populations, puisque la région productrice de pétrole est demeurée pauvre.
Fragile consensus
L’un des talons d’Achille des politiques de décentralisation, c’est l’absence de reddition des comptes. Les processus de légitimation et de sanction des collectivités décentralisées demeurent le domaine réservé du pouvoir central, lequel pourrait en faire usage au gré des intérêts politiques du moment. Bien plus, les décrets d’application qui fixent les attributions de ces collectivités ont parfois été utilisés comme des arguties juridiques pour reprendre d’une main l’autonomie de gestion conférée par l’autre.
Au total, il nous semble encore temps pour les autorités responsables de la conduite de la transition de faire prévaloir, autant que faire se peut, les principes qui ont inspiré la formulation des conclusions du récent Dialogue national inclusif et souverain. Le consensus qui les a rendues possibles demeure fragile.
 
Par Éric Topona Mocnga
Journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn.