Tchad : Travail des enfants au Tchad, entre désarroi et désolation, la pratique s’amplifie.
A N’Djaména, le travail des enfants prend de plus en plus de l’ampleur. Dans tous les quartiers, aux fonds des concessions, dans les basfonds, les rigoles, les rues, les enfants sont nombreux à affronter l’austérité de la vie pour la survivre. D’aucuns comme marmitons d’autres comme blanchisseurs ou encore comme vendeurs d’eau, de sable ou fabricants de brique. Et pourtant, les instruments juridiques tant nationaux qu’internationaux interdisent le travail des enfants. Qu’en est-il exactement ?. Reportage.
A N’Djaména, les enfants déshérités dont leur vie est hantée de désarroi et déception s’adonnent aux activités diverses pour subvenir à leur besoin : jeune marmiton chez les nantis surtout dans les quartiers huppés du nord de la ville dans les 1e, 3e, 5e et 10e arrondissements, blanchisseur sur la berge du fleuve trainant des porte-tout remplis des couvertures et moquettes salle, vendeur d’eau par bidon sur les épaules, ébulleur des ordures ménagères, aide maçon, fabrication des briques non cuites au bord, etc. Ils sont reconnaissables car méconnaissables dans leur habillement et leur mine. Diverses raisons poussent ces enfants disons mineurs à s’engager dans la lutte pour la survie au dépens d’une éducation introuvable et d’un encadreur absent.
Nos reporters ont fait le tour dans les quartiers. Au 3e arrondissement, Mariame, tasse pleine de condiment sur la tête et un sac de farine de mil à la main se dépêche pour retourner chez sa tutrice. Elle est marmitonne depuis 18 mois disait-elle. Son père s’étant remarié, elle a fui la maltraitance de la nouvelle épouse pour échanger sa force contre la nourriture chez Hamsa, le nom de sa tutrice. Elle a cessé depuis lors d’aller à l’école. « Chez elle (Hamza), je travaille beaucoup dès 5h du matin. Je chauffe de l’eau pour la toilette de la famille, je fais la vaisselle. A 10 heures, je me rends au marché pour acheter les condiments, faire moudre le mil ou le riz pour le repas. Je me nourris souvent des fonds des marmites ou du reste de repas. Je me repose tard la nuit. Nous sommes beaucoup d’enfants à travailler dans notre quartier. On se connait. Certains qui ont des parents repartent le week-end. Moi non », témoigne-t-elle.
Dans le 7e et le 9e arrondissements, des quartiers qui longent les rives des deux fleuves Chari et Logone, le phénomène crève les yeux. Les berges sont bondés d’enfants transpirant sous la chaleur en train de faire la lessive ou de fabriquer des briques.
Ceux qui font la lessive se regroupent sur la berge sableuse pour faire sécher les lourdes couvertures. A plusieurs sur une moquette large, épaisse et très salle pour mieux la nettoyer. A la question de savoir si ce travail leur permet de gagner leur vie, l’un d’eux, Etienne, blagueur répond : « Vous avez fait quoi dans votre vie ? Posez des questions seulement, non ? C’est le partage avant, l’entraide mutuelle pour atteindre le lendemain. Le peu qu’on trouve, on se le partage ». Puis il rit et ne répond plus à nos questions.
Nous nous rapprochons d’un groupe de quatre enfants visiblement âgés de moins de 15 ans, travaillant à la chaine, l’un prenant l’eau dans un puit peu profond, le second remuant la boue avec une vieille bèche, le troisième déposant la boue malaxée et le dernier soulevant le moule pour sortir une brique de terrain battu tout en fredonnant la musique « couper-décaler » jouée par un vieux appareil de téléphone. L’un des plus grand, surnommé Madji, âgé de 15 ans et en classe de 6ème au Lycée de Walia, se confie à nous en patois. « Après les cours, mes cadets et moi fabriquons des briques pour trouver de quoi manger. Nous sommes orphelins de mère et de père depuis 4 ans. Nous vivons avec une tante dont l’activité principale est la préparation des boissons indigènes appelées communément « bili et argui ». Comme nous sommes dans une famille pauvre, après les cours, nous venons fabriquer les briques à raison de 25F CFA seulement l’unité. Nous sommes obligés de faire ce travail pénible pour gagner un peu d’argent. Cet argent nous permet non seulement de subvenir à nos petits besoins mais aussi à assurer notre ration alimentaire faite d’haricot et de thé au petit déjeuner et à la pause pendant les heures de récréations », explique-t-il.
A côté, un autre groupe composé des adultes et de mineurs s’adonnent à cette même activité. Tous sont employés par un commerçant des briques cuites. L’un d’eux âgé de 14 ans qui a quitté les bancs de l’école depuis trois ans est autorisé à témoigner : « J’étais en classe de CM1 quand mon maître m’a renvoyé de la classe parce que je n’avais ni livre de lecture ni cahier de leçon. J’ai demandé à mon père qui est un garçon de salle dans un centre de santé de me les acheter. Il en était incapable. Face au refus de mon maître de me permettre d’avoir accès en classe, je n’ai pas le choix ». Un autre en témoigne aussi : « Depuis 3 ans, mon père qui est un soldat est affecté au Nord. Nous ne l’avons plus revu. La maman est paralysée. Je ne sais à quel à saint me vouer. Mon oncle, vigile de son état tente de prendre en charge ma scolarité. Mais hélas, il est dépassé par la conjoncture sociale. Je suis obligé après le cours d’aller au chantier fabriquer les briques pour me permettre de me prendre en charge surtout des petits besoins tels que les écritoires », renchérit Franklin, âgé de 15 ans.
Exploitation économique et maltraitance
Certains témoignages recueillis auprès des enfants révèlent des cas d’exploitation. « Malgré qu’on travaille beaucoup dans l’espoir de gagner assez d’argent, notre employeur refuse de nous payer. Il y a des jours où il refuse de nous ravitailler en thé et pain. On est obligé de travailler tout affamé. Selon le contrat, chaque samedi, il nous paie selon le nombre de briques fabriquées par chacun. Malheureusement, il lui arrive volontairement de ne pas nous payer une ou deux semaines. Entre temps, nous vivons le calvaire à la maison tout comme à l’école. Puisque la tante avec ses ressources dérisoires ne nous prépare pas quotidiennement à manger. Mes cadets et moi sommes obligés de dormir affamés pour reprendre le chemin de l’école et du chantier après-midi pour reprendre le même boulot », glisse Abdramane.
Quelque fois, certains parents imposent cette pratique aux enfants. « Si toute la semaine, nous n’arrivons pas à donner quelque chose à la tante pour la ration alimentaire, elle ne cesse de nous engueuler » confie le Alla, les yeux pleins de larme.
Noubaragué, âgé de 15 ans, présente un tibia bien enflé et bandé. Tout crispé, il est visiblement à bout de force. « Je me suis blessé avec la pelle pendant que je fabrique les briques. Mon pied est enflé et me fait très mal. Quand j’ai expliqué à mon père, il me gronde et me renvoie vers mon employeur pour s’occuper de mes soins. Mais ce dernier rechigne à me faire soigner », dit-il sur un ton empreint de désespoir.
Le travail des enfants se fait au vu et au su de tous. « Chaque jour, les enfants viennent ici, même aux heures de cours pour fabriquer des briques, faire la lessive, puiser de l’eau par fut, ramasser de sable au fonds du fleuve. Certains se noient au fond de l’eau. D’autres meurent par maladie, etc. Quand on leur demande les raisons de cette désertion des classes pour ces activités très dures, ils disent qu’ils viennent après leurs heures de cours. Mais en tant que parent, je déduis de ces réponses que ce sont des enfants qui vivent des situations difficiles, mais qui sont malheureusement exploités par des gens malhonnêtes. Alors qu’on sait que ce travail est pénible pour leur âge et aura un effet néfaste sur leur santé », confirme Djimnarem Gabriel, un habitant du quartier Walia et riverain d’un site de fabrique des briques.
Mais quelquefois, les enfants consciencieux sont déterminés à affronter la vie en s’accrochant à la fois aux études et à la débrouillardise. « Moi, je viens ici au bord fabriquer les briques, pendant les heures libres, le weekend ou les congés. Il faut avoir de quoi se nourrir, s’habiller et payer l’école », nous disait Innocent éleves en classe de 4e.
Si la Convention des droits de l’enfant (CDE) ratifiée par le Tchad depuis 1989 et bien de lois nationales prohibent le travail, l’exploitation d’enfants fait son bonhomme de chemin malgré la campagne de vulgarisation de la convention des droits de l’enfant et des lois par l’UNICEF et les ministères en charge de l’enfance. Cependant, il est à noter que la population tchadienne est à plus de 75% analphabète et vit au seuil de la pauvreté avec moins 2 dollars par jour.
Golbé Augustin Calas