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Tchad : Désarroi et désolation dans le Bassin du Lac Tchad

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Les récurrentes confrontations armées entre les éléments de la secte islamiste Boko Haram et les forces de défense et de sécurité tchadienne ont laissé des traces indélébiles dans le Bassin du Lac Tchad. Une douzaine d'années après, les familles des disparus sont dans le désarroi et la désolation.


Dimanche 23 octobre 2022. L'horloge marque 8h du matin. Nous sommes au camp de Dar-Salam pour honorer les engagements pris avec une déplacée âgée de 35 ans. Cette mère de 5 enfants qui avait fui les affrontements de Bohoma, le 5 mars 2022, nous raconte sa mésaventure. Mon mari, dit-elle, est parti au combat le 30 mars 2020. La veille, poursuit-elle, il a demandé la permission à sa hiérarchie pour venir nous souhaiter au revoir, littéralement en arabe « A gode afé » ou en français « Restez en paix » ! « Mais depuis son départ, je ne l'ai ni revu, ni reçu de ses nouvelles. J'ai pressenti qu'il a été tué au combat mais on ne veut pas me le dire. Je veux qu'on me clarifie cette situation pour avoir une fois la conscience tranquille et organiser le deuil de mon mari pour qu'enfin son âme repose en paix », se plaint-elle.
Une source qui requiert l'anonymat affirme que l'époux de la dame a été effectivement porté disparu lors des rudes affrontements armés du 31 au 8 mars 2020 opposant les groupes djihadistes aux forces gouvernementales sur les îles du Lac Tchad. Depuis lors, la pauvre dame vit seule avec ses enfants. Au fur et à mesure que le temps passe, l'espoir de revoir un jour le père de ses enfants s'éffrite. Et, à la persistante question d'un de ses enfants de savoir « où est papa ? » ou encore « quand papa sera de retour ? », il est pratiquement difficile à maman de répondre. Désormais, tous les jours, sa vie est hantée de désarroi, de désespoir ainsi que de désolation. Puis, lâche-t-elle dans un profond soupir, des larmes perlant sur ses joues, « ma douleur est immense ». Les mots de consolation que lui adresse notre guide qui est originaire du Lac Tchad, connaisseur du terrain, la laissent impassible. « Même s'il est tué pendant le combat, qu'on me le dise ouvertement ! », insiste-t-elle.
Quand bien même traumatisée par la disparition de son mari, cette brave dame ne baisse pas les bras. Elle se bat comme un beau diable dans le commerce pour nourrir ses enfants. Mais elle confie percevoir « de temps à autre le salaire de son mari, pour assurer certains besoins et engagements familiaux tels que la couverture scolaire et sanitaires des enfants ». Ainsi, depuis deux ans et demi que dure la disparition de son époux, tout le poids de la famille repose sur elle. Toutefois, pour remonter, un temps soit peu son moral, sa belle-famille et les proches de son mari l'assistent matériellement ; ce qui n'est pas suffisant par rapport à la présence du père de famille et son apport.
En effet, le soutien qu'elle reçoit de temps à autre ne suffit pas, et encore moins ne lui donne pas le temps d'oublier son époux. Bien plus, un autre événement fâcheux et combien douloureux s'est produit dans la famille. « Après la disparition de mon mari, je viens de perdre ma fille, la benjamine de la famille des suites de paludisme », annonce-t-elle bouleversée. Aussi, la mort de la fille de cette pauvre dame vient-elle alourdir davantage sa peine et la plonge dans la détresse. « En plus de mon mari, je viens de perdre, il y a 5 mois, ma fille de 8 ans qui m'aide quotidiennement dans les travaux ménagers. Je demande à mon Dieu de m'épargner des malheurs et de m'aider à retrouver la paix du cœur puisque ma vie va de mal en pis. Je vis sans âme. Je passe parfois des nuits blanches à pleurer quand je pense à ma fille et à mon mari », fond-elle en larmes.

Le désespoir est à son comble


En dépit des conseils çà et là  prodigués, dans le souci de la réconforter, chaque jour qui passe affecte de plus en plus la dame. « Nous sommes dans la zone où les conflits armés sont récurrents. Chaque fois que j'écoute les informations à la radio communautaire Mourgoudida à Bagassola ou bien les « bouches à oreille » au quartier sur les conflits armés, le désespoir m'envahit. Je me pose la question de savoir si je pourrais encore revoir un jour  mon mari », insiste-t-elle.
Comme cette dame aux abois, beaucoup de familles dont les proches ont disparu dans divers conflits armés dans le Bassin du Lac Tchad sont accueillis sur le même site. Pendant l'entretien, nous apprenons la disparition d'un infirmier qui exerçait au centre de santé de Bagassola. En mission dans cette zone, les éléments de Boko Haram avaient kidnappé cet infirmier en 2021. Mais, plusieurs semaines après, il a réussi à s'évader des mains de ses ravisseurs pour retrouver sa famille. Une chance inouïe !
A Guitté, un village des îles de la province du Lac, un pêcheur a été enlevé dans la nuit du 9 janvier 2014 pendant qu'il pêchait. Mais il a aussi réussi la prouesse de s'enfuir 6 mois plus tard pour regagner sa famille. Sa fuite des mains de ses ravisseurs a été organisée quand ceux-ci l'ont envoyé chercher du bois de chauffe en brousse. Son neveu à Bol, chef-lieu de la province du Lac, nous l'a confirmé.


Les terroristes sèment la désolation


En 2010, l'instabilité politique dans les pays riverains du bassin du Lac Tchad (Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad) a ouvert non seulement la porte aux différents groupes politico-militaires tchadiens à vouloir s'accaparer du pouvoir à N'Djaména mais aussi aux djihadistes de mener des opérations criminelles sur les paisibles populations pour affirmer leur existence et la nuisance de leur secte. Les populations riveraines du Lac Tchad : Camerounaises, Nigérianes, Nigériennes, et Tchadiennes étaient obligées de fuir les attaques armées qui survenaient de manière sporadique, pour trouver refuge dans le camp installé par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) dans le département de Bagassola où interviennent plusieurs organisations des Nations Unies, à l'instar de la Croix Rouge Internationale (CICR).

 

Le Bassin du Lac Tchad qui, par le passé, générait d'énormes ressources, est devenu aujourdhui une zone en proie à une insécurité et une instabilité d'un succès surprenant. La zone est devenue le théâtre des conflits armés, des attaques des groupes djihadistes (Boko Haram, plus précisément) ; les conflits éleveurs/agriculteurs et fonciers se sont accentués, rendant la vie invivable aux populations qui l'habitent. Le 23 mars 2020, le reportage de notre confrère Cyril Ben Simon du journal français Le Monde, faisait état de 98 soldats tchadiens tués dans une attaque de Boko Haram contre la base de Bohoma, sur une île du Lac Tchad.
Le Feu président du Tchad, Idriss Déby Itno, alors président en exercice du G5 Sahel ne pouvait supporter cet affront. Dans un message daté du 25 mars 2020, il déclarait : « Je refuse cette défaite et la réplique doit être foudroyante ». Joignant l'acte à la parole d'officier, Idriss Déby avait lancé l'armée tchadienne aux trousses des djihadistes le 31 mars 2020. L'opération était dénommée « Colère de Bohoma ». Le soldat Déby lui-même avait pris la tête du commandement des opérations, utilisant les moyens terrestres et aériens. Des combats d'une rare violence entre légalistes et djihadistes se sont déroulés pendant 8 jours sur le terrain (31 mars au 8 avril 2020). Les assauts des troupes tchadiennes et leur hardiesse galvanisée par la présence de leur chef suprême ont eu raison de la dernière base des Boko Haram à Bohoma. L'opération « Colère de Bohoma » a été une réussite, précisait-on du côté des vainqueurs, mais sur le plan purement humanitaire, les dégâts sont incommensurables, surtout du côté humain. De nombreuses familles avaient été endeuillées. Des blessés et autres déplacés étaient comptés par milliers. Les conséquences humaines, matérielles et financières de ces affrontements étaient si lourdes sans oublier les disparus qu'on ne pouvait compter.


La réponse humanitaire du HCR ne s’est pas fait attendre. Un camp a été créé à Dar-Salam, à 7 kilomètres à l'entrée de Bagassola. Il a accueilli des réfugiés camerounais, nigérians, nigériens et des déplacés tchadiens. Ce camp dont le rôle salvateur n'est plus à décrire s'était chargé de nourrir, de loger et soigner les déshérités.
Le terrorisme et son corollaire des affrontements armés entre les loyalistes et les éléments de Boko Haram ont fait tant de victimes dans le bassin du Lac tchad. Victimes parmi les paisibles populations, mais également parmi les belligérants que sont les camps en face. Quoiqu'il en soit, ce sont des êtres humains dont la vie est sacrée (Cf. les textes et autres conventions internationaux), qui tombent. « D'autres faits prisonniers de guerre ou disparus n'ont pas réapparu », déplore un agent de l'Etat en service dans le Lac. Leurs différentes familles sont plongées dans une totale désolation. L'action humanitaire qui est à saluer, parce qu'elle a eu à sauver et à préserver de nombreuses vies humaines est à renforcer dans le Bassin du Lac Tchad.


Golbé Augustin Calas