Niger : Mohamed Bazoum investi pour un mandat qui s'annonce difficile
Proclamé vainqueur de l'élection présidentielle du 21 février avec plus de 55 % des voix, c'est dans une atmosphère loin d'être sereine que Mohamed Bazoum a finalement prêté serment ce vendredi 2 avril, au Centre international de conférence de Niamey, entouré de plus d'une dizaine de chefs d'État et de représentants d'institutions internationales. Un événement historique pour le Niger, où c'est la première fois que le passage de relais se fait entre deux présidents démocratiquement élus, Mahamadou Issoufou et son dauphin Mohamed Bazoum, dans un pays à l'histoire marquée par les coups d'État –
mais aussi déterminant, puisque ce dernier hérite d'un pays aux innombrables défis. Comment Mohamed Bazoum va-t-il gouverner, avec qui et surtout avec quels moyens ? Ce sont les questions que se posent de nombreux Nigériens, loin de se satisfaire de cette passation pacifique inédite du pouvoir. D'autant plus que ces derniers jours, la tension est montée d'un cran dans le pays.
Une présidence qui débute sous haute sécurité
Âgé de 61 ans, Mohamed Bazoum a été élu à l'issue du second tour de la présidentielle du 21 février face à un ancien président, Mahamane Ousmane, qui n'a pas reconnu sa défaite et a appelé à des « manifestations pacifiques ». Alors qu'il est toujours contesté, Mohamed Bazoum a déjà été victime d'une tentative de coup d'État. Dans la nuit de mardi à mercredi, des militaires en armes ont investi le quartier de la résidence et des bureaux de la présidence à Niamey, mais ont été repoussés par la garde présidentielle après des échanges de tirs, notamment à l'arme lourde. Plusieurs « personnes en lien avec cette tentative de coup d'État » ont été « interpellées et d'autres sont activement recherchées », selon le gouvernement. L'histoire du Niger, pays sahélien parmi les plus pauvres du monde, est jalonnée par les coups d'État. Depuis l'indépendance de cette ex-colonie française en 1960, il y en a eu quatre : le premier en avril 1974 contre le président Diori Hamani, le dernier en février 2010 qui a renversé le président Mahamadou Tandja. Sans compter les tentatives de putsch, nombreuses.
Une situation qui en dit long sur les difficultés politiques et sécuritaires qui attendent le nouveau chef de l'État. Mohamed Bazoum va être immédiatement confronté à l'immense défi des attaques djihadistes menées régulièrement dans son pays par des groupes affiliés à Al-Qaïda et l'État islamique dans sa partie ouest frontalière du Mali et du Burkina Faso, par le groupe nigérian Boko Haram dans sa partie est frontalière du Nigeria. Les attaques contre des civils se sont multipliées depuis le début de l'année : plus de 300 personnes ont été tuées dans trois séries d'attaques contre des villages et des campements de l'ouest du pays, frontalier du Mali.
La dernière de ces attaques de grande ampleur a eu lieu le 21 mars dans la région de Tahoua, faisant 141 morts dans trois villages touareg et des campements alentour. La région de Tahoua, vaste et désertique, se trouve à l'est de celle de Tillaberi, toutes deux proches de la frontière avec le Mali. Celle de Tillaberi est située dans la zone dite « des trois frontières », entre Niger, Mali et Burkina Faso, régulièrement frappée par les groupes djihadistes.
Bazoum affiche sa fermeté face aux djihadistes
Ce vendredi, dans son discours d'investiture, il n'a pas manqué de souligner une nouvelle fois combien le Niger est « confronté à l'existence de groupes terroristes dont la barbarie vient de dépasser toutes les bornes » et qui « se livrent à des massacres de civils innocents à grande échelle commettant à l'occasion de vrais crimes de guerre », a-t-il dit. Dans un récent entretien à RFI et France 24, Mohamed Bazoum a déjà averti et écarté tout dialogue avec les djihadistes, estimant que la situation de son pays était différente de celle du Mali. « Nous ne pourrions pas envisager quelque dialogue que ce soit dans la mesure où il n'y a pas un seul chef djihadiste nigérien, une seule base de djihadistes sur notre territoire », a-t-il affirmé. Un fait semble le conforter dans sa vision du sujet, comme le fait notamment que les chefs de ces groupes terroristes « relèvent d'autres pays, jamais aucun chef terroriste n'a fait cas de griefs contre notre États, encore moins formulé la moindre revendication en sa direction », a fermement dit Bazoum, qui entend « poursuivre » l'œuvre de son mentor. Longtemps resté à l'arrière-plan, s'occupant de l'appareil du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, dont il est un des membres fondateurs comme Issoufou), Mohamed Bazoum, de l'ethnie minoritaire arabe, né à Bilabrine dans la région de Diffa (Sud-Est), a une longue expérience des arcanes de décisions sur ces dossiers chauds. Il a été ministre de l'Intérieur et ministre d'État à la présidence lors de la réélection d'Issoufou en 2016. Sous la présidence de son mentor, il se disait de lui qu'il était le vrai numéro deux de l'État, devant le Premier ministre Brigi Rafini, qu'il gérait toutes les affaires sensibles et qu'il était consulté sur tous les dossiers, de la diplomatie à l'économie, mais particulièrement sur les questions sécuritaires.
Rigueur et fermeté
Pourrait-il aujourd'hui mettre à profit cette longue expérience ? En tout cas, son contact facile et son ancrage philosophique à gauche sont nuancés par un « air dur, celui de quelqu'un dont on sait qu'il peut avoir la main ferme », dit de lui un observateur de la politique nigérienne à Niamey, qui s'est confié à l'AFP. Après des études à Gouré (Sud-Est), puis un baccalauréat à Zinder, Bazoum part étudier la philosophie au Sénégal. Il y enseigne pendant six ans dans des lycées de province, y gagnant un certain talent d'orateur. Homme de réseau, avec de bonnes relations à l'étranger, il a quitté ses fonctions mi-2020 pour se consacrer à la présidentielle, objectif programmé d'un homme de l'ombre propulsé au premier rang de l'imposante machine déployée pour l'élection par le PNDS.
Les partenaires du Niger, principaux bailleurs d'un pays très fortement dépendant de l'aide internationale, où France comme États-Unis ont des bases militaires, préfèrent voir dans Bazoum l'assurance d'un leader sûr, quitte à détourner le regard sur certains sujets. Notamment sur les affaires de corruption qui ont miné la présidence Issoufou. Mais, avantage certain pour Bazoum, « son nom n'est pas cité dans les principaux scandales de corruption qui ont souvent éclaboussé le régime » et « on lui reconnaît une certaine rigueur dans la gestion des affaires publiques et un franc-parler », selon Ibrahim Yahya Ibrahim, chercheur à International Crisis Group.
Aujourd'hui, après avoir prêté serment, il a estimé qu'en ce qui concernait le groupe État islamique au grand Sahara (EIGS) dont les dirigeants « sont des ressortissants du Maghreb » et qui a ses bases « en territoire malien dans les régions de Ménaka et Gao », le combat « contre lui sera très difficile aussi longtemps que l'État malien n'aura pas exercé la plénitude de sa souveraineté sur ces régions ». « La situation actuelle du Mali a un impact direct sur la sécurité intérieure de notre pays », a-t-il affirmé, ajoutant : « C'est pourquoi notre agenda diplomatique sera centré sur le Mali. »