International : Xavier Driencourt: «Nous nous sommes écartés du Maroc et nous ne récoltons rien de notre pari algérien»
Dans une note publiée en juin 2023, intitulée «Le pari algérien d’Emmanuel Macron: illusions, risques et erreurs», Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger, déplore le refroidissement des rapports entre la France et le Maroc tout en s’interrogeant sur les raisons qui poussent le président de la République française, Emmanuel Macron, à persister dans sa valorisation d’une relation entre la France et l’Algérie, sur les avantages que la France aurait à en tirer, alors même que le régime algérien multiplie les signaux hostiles à son égard, de l’introduction du couplet anti-français à son hymne national à la récente visite de Abdelmadjid Tebboune à Moscou.
Pour l’ancien ambassadeur, « la politique française vis-à-vis d’Alger manque de ligne directrice depuis 2017» et qu’«entre fermeté assumée un court moment et amitié proclamée, cette politique sinueuse, tout en oscillations incertaines, n’est au fond pas une politique. Il s’agit en réalité d’un pari».
Ce pari plus qu’incertain, fondé sur «des illusions, des erreurs d’analyse et des risques politiques et géopolitiques non négligeables», dont «la mise est maximale, mais les chances de gains minimes», ne présente ainsi que peu d’avantages pour la France sur des dossiers clefs, estime Xavier Driencourt. «Rien sur la relation militaire, sans doute peu de choses (ou toujours les mêmes) sur le plan économique ou commercial, des difficultés à prévoir pour ce qui concerne l’immigration, peu de choses sur le Sahel», énumère-t-il.
Sans compter, analyse l’auteur de «L’énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger» (Éditions de l’Observatoire, 2022), que le silence complice observé par la France face à la politique intérieure algérienne, ses atteintes aux libertés, son caractère brutal à l’égard des voix qui s’élèvent contre le régime en place, conforte Alger dans une certitude: «On sait que la France fait le pari de l’Algérie et celui d’Abdelmadjid Tebboune que l’on soutiendra en cas de second mandat».Or, de ce choix délibéré de la France en faveur d’Alger résultent deux conséquences directes: d’une part, la fuite massive de beaucoup d’Algériens, «lassés, suspectés ou simplement inquiets du délitement du pays» et, d’autre part, l’éloignement «chaque jour un peu plus de Rabat», quitte à rompre l’équilibre que la France tentait de maintenir entre les deux capitales maghrébines.
La position du Maroc face à ce choix français n’a pas tardé à se faire connaître. En réponse à Emmanuel Macron, qui qualifiait lors d’une conférence de presse le 27 février à l’Élysée ses relations avec le Roi Mohammed VI «d’amicales», une «source officielle au sein du gouvernement marocain» affirmait en mars 2023, dans les colonnes du magazine Jeune Afrique, que les relations n’étaient «ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Élysée», rappelle Xavier Driencourt.
Or, poursuit-il, «pour des raisons identiques à celles qui nécessitent une relation normale ou au moins apaisée avec Alger, la France a besoin d’une relation apaisée avec le Maroc». Croire que le pari algérien dispensera la France de rapports amicaux et substantiels avec Rabat «est une erreur», juge-t-il, prenant pour exemple «les dossiers (politiques, sécuritaires, économiques, migratoires) sur lesquels la France doit travailler avec le Maroc» qui ne manquent pas.
Cette exclusivité du choix en faveur d’Alger faite par Emmanuel Macron, alors même que «la politique française, y compris du temps de François Mitterrand et François Hollande et évidemment sous les présidences Chirac et Sarkozy, était faite d’un équilibre», relève l’auteur de la note, laisse en quelque sorte «filer» le Maroc vers d’autres alliés ou partenaires, parmi lesquels l’Espagne, les États-Unis, Israël, mais aussi la Chine.
Bien sûr, argumente-t-il, «certains dossiers sont délicats ou épineux, comme la question migratoire ou celle du Sahara occidental», mais étaie-t-il, «se contenter de jeter un voile pudique ne peut être une solution», et la France «doit reprendre l’initiative. Peut-être pas seule et en réfléchissant à un schéma nouveau».
Ainsi, si Nicolas Sarkozy avait conçu l’Union pour la Méditerranée en 2008, mais dont le «format (trop) vaste en limitait l’efficacité», la France d’aujourd’hui «pourrait imaginer une formule inédite, bien que difficile», entrevoit-il.
Celle-ci consisterait à s’accorder avec l’Espagne et l’Italie, «confrontées aux mêmes problèmes que la France (crises migratoires, sécurité, approvisionnements énergétiques, Sahel, dossiers économiques)» et en ayant en vis-à-vis les trois pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie). Il s’agirait ainsi de «tenter de réchauffer notre relation avec Rabat, aider au dialogue entre Madrid et Alger (qui ont aujourd’hui gelé leurs relations) et, qui sait, faciliter la discussion entre le Maroc et l’Algérie».
Et de conclure que cette idée «d’un 3+3, diplomatiquement complexe, politiquement risquée, mériterait à tout le moins une étude approfondie».