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L’intégration en zone Cemac et la crise diplomatique entre le Tchad et le Cameroun

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Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn. Auteur de l’Essai pour la refondation du Tchad.

Le 20 avril 2023, en soirée, la présidence de la République du Tchad, dans un communiqué officiel signé de Gali Gatta Ngothé, ministre d’État et secrétaire général à la présidence de la République, informait l’opinion publique nationale et internationale du rappel pour consultation de son ambassadeur au Cameroun. Ce fut un véritable coup de tonnerre dans le ciel pourtant tranquille et apparemment sans nuages des relations entre le Tchad et le Cameroun.  

Des nuages s’amoncellent pourtant depuis quelque temps, mais sans le moindre indice laissant percevoir une dégradation des relations entre les deux pays : « La présidence de la République du Tchad informe l’opinion publique nationale et internationale de la persistance des différends qui se créent entre le Tchad et le Cameroun, notamment autour de la question de la prétendue acquisition des actifs de l’ex-Esso par la nébuleuse Savannah Energy ». Dans le même communiqué, le Tchad s’indigne de ce que, de tous les États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), le Cameroun est à cette date le seul État qui n’a pas encore répondu aux lettres de demande d’avis de non-objection dans sa démarche d’acquisition des actifs de la compagnie pétrolière malaisienne PETRONAS, naguère membre du consortium opérant sur le champ pétrolier de Doba.

Cette crise diplomatique désarçonne d’autant plus les observateurs qu’elle survient un mois à peine après la 15e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cemac

, qui aura été « un succès total », selon le site officiel de la présidence de la République du Cameroun. À l’agenda des chefs d’État figurait en bonne place le renforcement de l’intégration sous-régionale.

La circulation des hommes et des biens de part et d’autre de la frontière entre les deux pays est des plus fluide et le brassage de peuples est poussé et séculaire. Entre les milieux d’affaires, les relations sont anciennes et ont été renforcées à la faveur de la construction de l’oléoduc qui relie le champ pétrolier de Doba au Tchad à la ville portuaire de Kribi au Cameroun, point de départ des cargaisons du brut tchadien à l’exportation.

Pour le déplorer, la zone Cemac est celle où la circulation des personnes et des biens est la moins avancée sur l’ensemble du continent africain. Elle est aussi l’entité économico-monétaire régionale la plus vulnérable aux chocs économiques externes. À l’heure où la dynamique économique à l’échelle africaine est celle de la nécessaire convergence des économies nationales vers la mise en place effective de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), une crise diplomatique, sur fond de désaccords économiques pour un enjeu d’une si grande importance, est mal venue.

Certes, le train de l’intégration en zone Cemac a connu plusieurs pannes depuis sa mise en route ; mais, pour la plupart, elles étaient relatives à la libre circulation des personnes et des biens. La plus récente fut l’expulsion, dans des conditions parfois contestables, de Camerounais de Guinée équatoriale. Toutefois, rarement sinon jamais la zone Cemac n’a été le théâtre d’une crise diplomatique aux enjeux économiques d’une importance semblable à la crise actuelle.

Le différend entre le Tchad et le Cameroun s’inscrit manifestement à contre-courant de ces déclarations d’intention et du satisfecit des chefs d’État à l’issue de leur récent conclave de Yaoundé. La crise entre les deux États est d’autant plus déplorable que le Cameroun et le Tchad sont confrontés à des défis sécuritaires communs, et pas des moindres. Les deux pays ont été contraints de mutualiser leurs forces de défense et de sécurité afin de neutraliser la nébuleuse Boko Haram dans le bassin du lac Tchad et dans la région de l’extrême nord du Cameroun, non sans de francs succès.

Le Tchad et le Cameroun disposent des forces de défense et de sécurité les plus structurées et les plus familières des théâtres d’opérations dans la région. Celles-ci ne tiennent pas seulement lieu de verrous sécuritaires pour la sécurité intérieure des deux États, mais pour la zone Cemac tout entière.

Les échanges commerciaux entre ces deux pays pèsent d’un poids considérable pour la région. Ils se sont construits sur le terreau de liens familiaux fort anciens qui remontent à l’époque précoloniale.

Le pipeline Tchad-Cameroun aujourd’hui au cœur de cette crise diplomatique a pourtant été salué unanimement comme symbole inédit d’intégration en zone Cemac, voire en Afrique. À l’issue des négociations qui aboutirent à l’accord-cadre de construction en terre camerounaise de cette infrastructure gigantesque, sans équivalent en Afrique Centrale et qui demeure à ce jour la plus importante du genre jamais financée par la Banque mondiale en Afrique, au sud du Sahara, le directeur général de la Société nationale des hydrocarbures du Cameroun (SNH), Adolphe Moudiki, eut ces propos porteurs d’espoir pour l’intégration régionale africaine : « La République du Cameroun, en acceptant la construction sur son territoire du pipeline transportant le brut provenant des trois champs pétroliers de Doba, au Tchad, fixe symboliquement (ce terme était répété deux fois dans le texte) le droit de passage à 0,41 $. Ainsi, le Cameroun a voulu donner un bel exemple de la coopération sous-régionale et africaine [1] ».

À sa prise de parole, Hassan Adoum-Bakhit Haggar, au nom du Tchad, alla dans le même sens : « Le Cameroun et le Tchad ont une longue histoire commune et le pipeline sera le cordon ombilical grâce auquel nos deux pays construiront leur avenir, partageront leur bonheur et consolideront leurs relations fraternelles sur la base des intérêts réciproques ».

Puissent les officiels des deux pays se souvenir de cet engagement mutuel. En effet, l’intégration régionale en zone Cemac ne doit plus être un discours inopérant. Il est grand temps d’incarner la volonté d’intégration dans le fonctionnement quotidien des institutions régionales et les prises de décision des femmes et des hommes qui les incarnent.

Le président de la transition tchadienne, Mahamat Idriss Déby, a reçu le mercredi 26 avril le ministre d'État, secrétaire général de la présidence de la République du Cameroun, Ferdinand Ngoh Ngoh. Il a remis à Mahamat Idriss Déby un message du président Paul Biya. "(...) Nous avons pu constater que certaines incompréhensions ont été dissipées et qu'il n'y a vraiment aucun nuage dans la relation entre le Cameroun et le Tchad", a déclaré Ferdinand Ngoh Ngoh à sa sortie d'audience. Gageons qu’il en soit ainsi.

[1] Hassan Adoum-Bakhit Haggar, Le Tchad et son pétrole, défis politiques et enjeux géostratégiques, éditions Veritas, p. 145.